Le mot qui arrêta la guerre : l’angélisme réfléchi

Une pile d'exemplaires du Mot qui arrêta la Guerre
Sur le stand Nobi-Nobi pendant le salon du livre

Le Mot qui arrêta la Guerre est en librairie depuis quinze jours. Toutefois, je l’ai écrit il y a déjà dix ans, même s’il a subi de nombreuses retouches depuis. C’est un conte qui se déroule dans un Japon médiéval, mais en fait peu importe le lieu et l’époque, puisqu’il y est surtout question du pouvoir de l’art, du pouvoir des mots et de ceux que ça dérange. En fait, il y est question de liberté d’expression.

À l’époque où j’ai écrit ce texte, bien que j’aimais beaucoup mon histoire, le message m’avait semblé peut-être un peu évident. Quelle consternation de découvrir que non…

Vraiment, ça m’a fait drôle quand le livre est parti à l’impression fin janvier et que mes éditeurs chez Nobi-Nobi m’ont demandé en catastrophe : « tu es sûre que tu ne veux pas écrire une petite postface ? » À la base, j’avais dit non. Parce que vraiment, se gargariser sur la façon dont on trouve l’inspiration et sur comment la muse s’est penchée sur nous, c’est un peu trop vu, non ? Mais là…

Dans l’atelier Gottferdom où nous sommes une quinzaine d’artistes à travailler, je me rappelle très bien de la stupeur qui nous a tous frappé ce 7 janvier 2015. D’abord, Pierro (notre coloriste sur Route 78) est entré dans la cuisine où nous buvions un café en évoquant les derniers articles du Gorafi et il a dit sur un ton trop surpris pour être dramatique : « vous avez vu ? Apparemment, il y a des types qui ont tiré à la kalach chez Charlie Hebdo. » Je me rappelle avoir lâché cet éclat de rire, tout seul et bizarre, en me disant que le Gorafi poussait un peu loin le mauvais goût. Bien sûr, quand on est lancé dans l’hilarité, on ne s’arrête pas d’un coup. Il m’a fallu presque dix secondes pour comprendre que non, ça n’était pas une blague. La suite, on la connait tous, on a vécu la même. Malgré tout, je pense que ça a été un peu spécial chez les auteurs, car on a vraiment eu l’impression de perdre un morceau de nous. Et même si on ne connaissait ni Cabu, ni Wolinsky, ni les autres, on connaissait tous au moins une personne qui était proche d’eux.

Je crois que pas un collègue n’a eu la force de travailler pendant la semaine qui a suivi. Peu importe l’urgence des dead-lines, peu importe les éditeurs et les imprimeurs qui s’agaçaient. Vraiment, on n’a pas pu.

Censure
Censure

Alors finalement, après tout ça, je suis retournée voir mes éditeurs pour leur dire que si, j’allais l’écrire, cette petite postface. Ce n’est pas un texte très long, ni très ronflant, parce qu’il fallait rester accessible aux plus jeunes. La liberté d’expression n’a pas besoin de mots compliqués.

Quant au conte en lui-même, généralement, il plaît. Ça me fait touche. En plus, les illustrations d’Ein Lee sont sublimes et le mettent magnifiquement en valeur. Quel bonheur que d’avoir pu travailler avec une illustratrice aussi brillante !

Mais… il est arrivé – juste une fois, mais tout de même – qu’on vienne me dire que je faisais de l’angélisme. Alors je tiens à revenir sur ce point. L’angélisme, c’est quand on imagine pouvoir traverser le monde comme un canard sans se mouiller les plumes…

Extrait du mot qui arrêta la Guerre
Un moment de quiétude avant la tempête

Le Mot qui arrêta la Guerre est un livre qui prône la solution par la non-violence, à une époque où la fiction privilégie les héros qui tabassent les méchants pour les remettre dans le droit chemin. Autrement dit, c’est déjà un combat, que de faire entendre ce point de vue.

Défendre une vision de la paix par le biais de l’art ou celui des mots n’est pas une niaiserie, c’est de l’humanisme. Et je ne crois pas que ce soir ni naïf, ni facile que de développer ces valeurs chez les jeunes lecteurs.

C’est du boulot d’avoir foi en l’humanité.

Un extrait de la C4
Un extrait de la C4