Entre indépendance et édition traditionnelle : l’interview de Laurent Bettoni

Portrait Laurent BettoniDès qu’on s’intéresse sérieusement à l’auto-édition, un nom revient sans arrêt sur les lèvres, celui de Laurent Bettoni. Auteur à ce jour d’une dizaine de romans, dans l’édition traditionnelle ou numérique – car les deux ne sont pas antinomiques, il fut l’un des pionniers de l’auto-édition sur internet. Comme j’ai beaucoup aimé son dernier roman, j’ai voulu l’interviewer. Il dresse un portrait édifiant de l’édition numérique, de ses atouts comme de ses pièges.

Avez-vous eu une carrière avant de devenir auteur professionnel ?

Avant de devenir auteur à plein temps, j’ai été commercial dans l’industrie pharmaceutique pendant une quinzaine d’années. En 2005, j’ai bénéficié d’un plan de licenciement qui m’a permis d’assurer mes arrières pendant deux ans. La première année, j’ai écrit un roman qui, par chance, a tout de suite été pris chez Robert Laffont. La deuxième année, j’ai fait ma formation de correcteur chez Formacom, qui est la seule école diplômante dans ce domaine. Après quoi, j’ai travaillé pour le Figaro, Ushuaïa Magazine, j’ai aussi fait beaucoup de rewriting pour Michel Lafon et Albin Michel. Tout ça m’a ensuite servi pour proposer un service de rewriting aux auteurs indépendants, comme Agnès Martin-Lugand qui a par exemple fait appel à moi pour Les Gens Heureux lisent et boivent du café (publié depuis chez Michel Lafon suite à son succès numérique, NLDR).

Vous avez beaucoup pratiqué l’auto-édition, mais vous ne vous y cantonnez pas toujours…

De temps à autre, je reviens vers l’édition traditionnelle, mais je suis souvent mieux servi par l’auto-édition et les petites maisons d’édition comme La Bourdonnaye – dont je suis maintenant directeur éditorial. J’y republie d’ailleurs Écran Total qui avait été mon premier succès d’auto-édition. Ça va offrir une deuxième vie à l’ouvrage, aussi bien en numérique qu’en papier.Couverture Ecran Total

Vous avez expérimenté les débuts français de l’auto-édition numérique…

On peut dire que j’ai défriché l’édition numérique. Par rapport aux débuts, ça a déjà beaucoup évolué. Les plates-formes deviennent de plus en plus simples. Quand j’ai démarré sur fnac.com, Itunes, Chapitre, etc, tout ça était très complexe. KDP Amazon était lui plus facile d’accès, mais tout en anglais. Ça aussi, ça a changé.

La difficulté chez Amazon était l’absence d’interlocuteur. Mais avec le succès, très vite, j’ai été en relation avec Marie-Pierre Sangouard (Directrice Acquisition de Contenus Kindle, Amazon France), puis avec Maura Atwater qui s’occupe du livre papier pour le système d’impression à la demande par Create Space, puis Anne-Laure Vial (responsable KDP France).

Au tout départ, non seulement il y avait peu de lecteurs en numérique, mais c’était un mode d’édition très décrié. La presse, le SNE (Syndicat National de l’Édition), les auteurs eux-mêmes, disaient que seuls les ratés s’auto-publiaient, les losers dont personne ne voulait. Après est venu le succès. On était finalement peu d’auteurs avec une démarche professionnelle, si bien que c’était assez facile de s’imposer. Évidemment, il y avait toute une communication derrière où je précisais que j’étais publié chez Robert Laffont. Et les responsables de chez Amazon ont joué le jeu de leur côté. Elles ont beaucoup transmis mon nom à la presse, dès qu’elles étaient sollicitées. Amazon a fait un formidable travail d’attaché de presse comme la plupart des éditeurs ne le font plus. Je leur dois une bonne partie de mon succès.

C’est ainsi que début 2012, j’ai commencé à redevenir visible dans l’édition traditionnelle. J’y suis revenu, parce que malheureusement, aujourd’hui encore, on ne vous considère comme un auteur que si vous publiez régulièrement chez un grand éditeur. J’ai donc confié quelques uns de mes titres à des éditeurs traditionnels comme Don Quichotte (Le Seuil), Marabout (Hachette) – avec la collections Marabooks, ou encore La Bourdonnaye. Il faut avouer que c’est plus reposant, surtout pour la diffusion qui est très difficile en numérique quand on est seul. La diffusion papier, elle, n’en parlons même pas, c’est tout simplement impossible.

Couverture Arthus Bayard
L’avant dernier roman de Laurent Bettoni est un roman jeunesse et a été publié aux éditions Don Quichotte

Avez-vous noté une évolution ces deux dernières années ? Des changements déjà ?

Aujourd’hui, il est devenu plus dur de percer sur Amazon que quand j’ai commencé et qu’on était seulement une poignée d’auteurs professionnels à se disputer le marché. Un gros succès sur cette plate-forme, c’est actuellement 10 000 ventes, alors que moi j’ai fait un succès avec 8000 ventes sur deux titres. On n’est plus dans le même ordre d’idée. Et l’auteur qui veut s’imposer doit aussi être un marketeur, un vendeur, ou s’il ne l’est pas, il doit payer un professionnel pour faire tout ça à sa place. On commence à être dans un système où les amateurs vont être boulés. Mais tant mieux si ça se passe comme en musique. J’aimerais que le courant des indépendants en littérature soit aussi bon que ce qu’il est en musique ou au cinéma.

La différence entre l’auto-édition actuelle et celle des débuts, c’est surtout qu’aujourd’hui les gros vendeurs sont repérés par les éditeurs traditionnels. À mon sens, pour l’instant, les éditeurs qui s’y intéressent le font dans le cadre de coups marketing, pas celui de leur ligne éditoriale, malheureusement. Ils ne vont pas chercher le talent pour le mettre en exergue – comme le fait par exemple La Bourdonnaye – mais des blockbusters pour faire de grosses ventes. C’est un peu dommage que les gros éditeurs se contentent de chasser la tête du hit-parade. Je crains qu’Amazon ne devienne une sorte de service des manuscrits géant. On risque de ne plus prendre que les auteurs qui font de grosses ventes en numérique. J’ai peur qu’on ne se dirige plus que vers le « feel good roman » en France, qu’on ne s’autorise plus que certains genres… Ce serait très dommage.

C’est aussi pour ça que j’ai accepté d’être éditeur chez la Bourdonnaye. Évidemment, je ne cracherais pas sur Marc Levy s’il voulait signer chez nous, mais l’objectif premier c’est surtout de repérer des auteurs qui ont quelque chose de nouveau à raconter. Je veux utiliser ce vivier pour essayer de faire émerger de nouvelles voix. Ça fonctionne déjà. On a publié un bouquin en juillet, L’Insigne du Boîteux de Thierry Berlanda. On en est à quatre mille ventes, je n’ai jamais fait ce score chez un éditeur traditionnel. Chez La Bourdonnaye, j’ai la satisfaction de fonctionner au coup de cœur et d’accompagner vraiment les auteurs dans le travail de leurs textes.

Le risque de dérive qu’on observe actuellement, c’est que les gros éditeurs cherchent sur internet non pas de nouveaux talents mais de nouveaux vendeurs. Tant mieux si ça fait un levier de négociation pour les auteurs et que ça leur permet de vivre de leur plume, mais ça risque de standardiser l’écriture.

De mon côté, je suis bien content de travailler avec des gens comme Vincent Virgine, Antonia Medeiros, Françoise Benassis, et tous les autres, et plein de nouveaux qui apportent vraiment quelque chose à la littérature d’aujourd’hui. C’est dans ce sens que j’aimerais que l’édition aille.

Portrait Laurent BettoniQuels sont les avantages de l’auto-édition numérique sur l’édition traditionnelle ?

En librairie, la visibilité est de quatre semaines, ce qui est trop court. L’avantage majeur des plate-formes numériques, c’est une disponibilité permanente. Par ailleurs, vous pouvez jouer avec les prix.

Sur les plate-formes comme en librairie, cependant, la meilleure stratégie est d’être visible assez tôt. L’idéal, à mes yeux, est de mettre le prix le plus bas possible le jour de la mise en vente, pour déclencher les téléchargements, en prévenant les lecteurs dans l’argumentaire qu’il s’agit d’un prix de lancement, par exemple 0,99 euros. Il faut bien sûr préciser le prix normal – entre 4,99 et 6,99 euros en général – et ne pas prévenir de la date à laquelle le livre repasse au vrai prix pour générer un maximum de téléchargements le jour du lancement. À ce moment-là, il faut activer son réseau d’amis. S’il y a suffisamment de téléchargements, on grimpe très vite dans le TOP 100 qui est la zone visible. Là, Amazon vous place dans ses newsletters, les lecteurs vous trouvent facilement, et à ce moment, ce sont les ventes hors réseau qui s’activent. Du coup, vous êtes maintenu dans le TOP 100 et tant que vous y êtes, les gens continuent de vous acheter, écrivent des commentaires, etc. De son côté, Amazon, qui a des outils de promotion d’une capacité redoutable, vous pousse également.

Il y a d’autres actions possibles. Si par exemple vous avez écrit un roman d’amour, vous pouvez lancer une opération promotionnelle pour la Saint-Valentin. À ce moment, votre livre repasse dans le TOP 100 et vous êtes de nouveau visible.

Vous évoquez beaucoup Amazon, vous faites des formations dans leur cadre pour préparer des auteurs débutants ou confirmés au monde de l’auto-édition. Comment cette aventure a-t-elle débuté ? Y a-t-il une catégorie d’auteurs plus présente qu’une autre ?

J’ai fait mon premier atelier pour Amazon dans le cadre du salon du livre en 2013. Ils m’avaient sollicité car ils savaient que j’avais monté une structure d’accompagnement littéraire. Je leur avais proposé de véritables ateliers d’écriture mais ils ont préféré se cantonner à des ateliers de mise en page et de marketing, pour apprendre aux auteurs à formater leur livre pour Kindle.

Ces ateliers fonctionnent assez bien et je crois qu’il y en a quelques-uns prévus en 2015. Dernièrement, des auteurs confirmés ont commencé à arriver, mais ça stagne… J’insiste actuellement auprès d’Amazon pour créer des cours d’écriture comme seuls les États-Unis en proposent. Là-bas, les auteurs confirmés enseignent leur savoir-faire à l’université. Comment structurer un scénario ? Comment créer des personnages, un début, une fin… ? Si avec sa force de frappe Amazon se lançait là-dedans, je pense qu’on pourrait faire rentrer l’auto-édition dans une nouvelle dimension. Je suis donc un peu frustré par rapport à ces ateliers, même si Amazon s’est montré très élégant à mon endroit. Je vais peut-être finalement proposer mes compétences à La Bourdonnaye.

Vous avez une petite dizaine de romans derrière vous… On a toujours un chouchou dans ces cas-là. Pouvez-vous nous parler de votre livre préféré en tant qu’auteur ?

Il s’agit de mon dernier né, Mauvais Garçon, chez Don Quichotte, qui plonge dans l’univers du Darknet. Je suis très fier de ce livre. J’ai l’impression d’avoir réussi à y mettre tout ce que je voulais, d’y avoir mis mes tripes.

Couverture Mauvais Garçon
Le dernier livre de Laurent Bettoni aux éditions Don Quichotte

Comme j’ai moi aussi beaucoup aimé ce livre, quittons-nous sur cette petite chronique…

Thriller pour Bad Geek

Dans sa cité, tout le monde lui dit qu’il pète plus haut que son cul. C’est que Thomas, 23 ans, n’a pas l’intention de moisir dans le HLM de ses parents. Depuis le temps qu’il est brillant, depuis le temps qu’il en bave à jouer les gones du Chaâba, c’est sûr qu’il va l’avoir son poste en col blanc, très bien payé et très haut placé. D’ailleurs, il en décroche des stages non-rémunérés où on applaudit ses prouesses intellectuelles et où on lui fait miroiter des jobs à hauteur de ses compétences. Mais voilà, la finance est un petit milieu et c’est toujours un « fils de » qui lui passe sous le nez. Un jour, c’est le piston de trop. Thomas pète les plombs et est renvoyé à sa cité, ses petits trafics, son horizon bouché, sa rancoeur. Son ancien prof de fac, Louis Archambault n’en revient pas, lui non plus ! Cette injustice l’émeut tant qu’il va proposer un Thomas un petit boulot, dans les profondeurs du Darknet, cet internet caché, ce réseau où l’anonymat est de règle et où on peut se laisser aller sans risque à des pensées dérangeantes… Peu à peu, Thomas va glisser dans un monde dangereux qui semble n’avoir aucune limite.

Si en tant que lecteur, on a tous la quête du roman parfait, on sait comme il est rare de le croiser. Il y a toujours des longueurs, un personnage mal campé, une fin bâclée… Pas ici. On entre immédiatement en empathie avec Thomas. Les injustices qu’il affronte ont un fort goût de réalité. Et on s’accroche, tellement, qu’on en viendrait presque à se faire retourner la tête avec lui. C’est un roman qui va très vite, bourré de suspens avec une fin à la hauteur du reste. Une belle écriture dynamique qui ne gâche rien. Point bonus : c’est probablement le premier roman à évoquer aussi précisément le Darknet. Point malus : si vous commencez ce livre, annulez tous vos rendez-vous dans la journée, vous ne voudrez pas vous arrêter avant la dernière page.

305 pages, 18,90 € en papier, 13,99 € en e-book

Laurent Bettoni sera en signature dans les Cultura de Gennevilliers, Villenes-sur-Seine, Plaisir et à Claye-Souilly, respectivement les 21 et 25 février, ainsi que les 4 et 8 mars, pour son roman Écran Total.