Les Destructeurs en crowdfunding, l’interview d’Amoretti

François Amoretti sautant dans une plaine écossaisePour la toute première interview, j’ai choisi un ami de longue date… François Amoretti est un auteur-illustrateur chevronné. Il a publié trois livres aux éditions Soleil, deux autres chez Ankama et un dernier chez Comix Buro. Pourtant, il a choisi de mener son nouveau projet de manière indépendante, et de le financer sur Ulule en crowdfunding. Sa démarche d’indépendant est assez originale dans le sens où elle s’est construite autour d’un label d’artistes : IV Horsemen.

SHAUNA – Les Destructeurs, une BD toute en noir et blanc de 96 pages, au style furieusement atypique verra le jour au printemps prochain. En moins de 24 heures, François avait rassemblé 30% du budget et avait même déjà de la presse, car son public le suit de longue date…

François, qu’est-ce qui t’a conduit à l’auto-édition ?

Je travaille sur Les Destructeurs depuis juin 2013. Au début, j’avais formaté le projet pour plaire aux éditeurs. J’avais donc dessiné un comics pseudo français avec une super-héroïne, des monstres et une très légère sous-intrigue écologiste. Le projet a été refusé partout.

J’ai donc recommencé. Cette fois-ci, j’ai eu beaucoup de promesses de signature, qui huit mois plus tard n’avaient toujours pas abouti. Par contre, on m’a donné des tonnes de conseils et surtout, on m’a demandé de tout axer autour d’une fable écologique forte. Ça ne m’a pas trop plu. Je n’avais pas envie d’être moralisateur. L’écologie, des tas de gens sont plus aptes à en parler que moi. Je communique assez comme ça sur les réseaux sociaux sur le féminisme ou Sea Shepherd. Ce n’est pas la peine de placer ses combats partout, je voulais faire ce livre pour m’amuser.

Planche extraite des destructeursJ’ai remarqué que quand je m’éclatai, les gens s’éclataient aussi. Sur ce bouquin, je crois que j’ai été mal conseillé. Les gens me lisent pour ce que je fais moi : avec mon non-sens et mon humour noir. C’est pourquoi j’ai tout remanié à ma façon.

À l’arrivée, je n’ai pas la certitude que ça va marcher, mais je pense que ce sera un bouquin fun, et surtout très beau.

Quand on commande un bouquin en édition indépendante, on est souvent déçu par l’objet. Ce sera différent pour Les Destructeurs, n’est-ce pas ?

Mockup Les Destructeurs
Le livre tel qu’il sera imprimé

Comme beaucoup de gens, j’avais participé au projet Katarakt qui était vraiment magnifique sur le plan du graphisme. Mais quand je l’ai reçu, j’ai été un peu déçu par le livre : un simple format A5 avec une petite couverture souple. Le contenu était super mais l’objet faisait fanzine. Chez moi, j’essaie d’avoir une belle bibliothèque. Pour Les Destructeurs, j’ai donc l’ambition d’avoir mieux que ce que j’ai eu jusqu’à maintenant à compte d’éditeur, même si je suis limité par mes connaissances techniques. Ce serait un livre A4 de 96 pages, avec une très belle couverture cartonnée-toilée et un fer à chaud doré sur la couverture, le dos rond et la 4e de couv. Les feuillets seront cousus avec un tranchefil et un signet. Les illustrations seront vraiment mises en valeur. C’est rare de voir une BD aussi joliment imprimée.

Dans l’idéal absolu, j’aimerais en vendre 400 en pré-commande et cent de plus en festival ou sur ma boutique en ligne que je compte ouvrir prochainement sur Etsy. Jusque-là, je ne vendais que des ex-libris, des badges ou des cartes postales, mais le retour sur investissement beaucoup trop long ! C’était trop de travail. Dorénavant je ne vendrais que des tirages de pointe ou des originaux.

PipesTu te lances dans l’édition indépendante avec un label d’artistes comme appui. C’est plutôt original comme méthode. Comment ça t’est venu ?

Logo Four HorsemenAujourd’hui, avec la crise, les éditeurs avouent eux-mêmes du bout des lèvres chercher des produits calibrés, pour être sûrs de vendre. Ils ne veulent plus prendre de risque. Ça me dérange un peu cette frilosité, parce qu’en théorie, c’est leur boulot d’en prendre, justement, des risques.

Il y a aussi le problème des délais. Faire un dossier de présentation, ça prend trois mois pendant lesquels on n’est pas payés. Si le projet est refusé, on recommence.

Ça fait sept ans que je suis publié, j’ai de la bouteille, j’ai mon univers propre et une base de lecteurs. Pourtant, quand je travaille avec des éditeurs, je remarque de plus en plus un non-suivi total de leur part : ils sont débordés et ne font plus leur travail. Quand on leur envoie un projet, ils mettent des mois à répondre… Leur système ne me correspond plus. Et c’est d’ailleurs le cas d’énormément d’auteurs, même si personne n’ose le dire tout haut. Des collègues hyper-installés et qui vendent beaucoup voient leurs à-valoirs divisés par deux, leurs pourcentages baisser. Ce ne sont pas juste les petits auteurs qui se plaignent, les plus gros aussi grincent des dents.

Gothic Lolita - Princesses d'aujourd'hui
Le premier livre de François aux Editions Soleil

Le Label IV Horsemen, composé pour l’instant de cinq auteurs, est né de cette frustration et de cette tristesse. Un jour, on s’est retrouvé tous les cinq autour d’une table chez moi et je leur ai proposé le concept. L’idée c’est d’être un collectif d’auteurs qui se serrent les coudes, qui pour certains ont déjà un gros bagage professionnel, et qui ont tous déjà un public. L’idée c’est de créer de façon franche et honnête, en espérant élargir notre public. Si ce dernier disparaît, tant pis, mais ça nous aura permis de travailler avec le cœur.

Tous les cinq, nous avons beaucoup de points communs sur nos esthétiques. On a des univers assez oniriques.

Bien sûr, le label est ouvert à d’autres artistes, qu’ils soient les bienvenus ! Pour travailler sous le même étendard, il n’y a qu’une obligation : que tout le monde participe à la communication et travaille sincèrement.

Burlesque Girrrl, une BD de François chez Ankama
Burlesque Girrrl, une BD de François chez Ankama

Et concrètement, comment ça se passe de lancer un projet en crowdfunding ?

Ça demande beaucoup de préparation. Il faut prévenir les gens en avance, leur parler du projet, préparer le terrain. Pour les Destructeurs, ça faisait 14 mois que j’en parlais autour de moi, à tort et à travers. J’ai fait des petits clips en amont…. En bref, le projet n’était pas nouveau quand je l’ai proposé sur Ulule.

Pour proposer le projet sur ce site aussi, il faut bien préparer les choses : bosser les images et la présentation. Les gens aiment les contreparties, c’est donc mieux de prévoir plein d’échelons et pas seulement le livre avec ou sans dédicaces (NLDR : François a aussi prévu des originaux, des exlibris, des photos). C’est en proposant plusieurs paliers qu’on peut avoir plus d’argent plus vite. Quand quelqu’un met 200 euros dans la cagnotte, ça fait un bond d’un coup.

Quand tout est prêt, l’équipe Ulule vous apporte des conseils qui sont plus que précieux, mieux vaut les écouter, ils savent de quoi ils parlent ! Leur accompagnement est plutôt précis. Leur premier conseil, c’est de partir sur un minimum plutôt que sur la somme idéale. Avec mes 12 000 euros d’attente, mon projet est plutôt ambitieux, pourtant je me réserve moins de 2000 euros pour plus de six mois de travail…

Ensuite, il faut solliciter le cercle proche avant de se lancer sur les réseaux sociaux.

Un ami éditeur me disait qu’il y avait trois cercles :

– Le 1er est composé de la famille et des amis. À lui seul, il doit remplir les premiers 50%. C’est après que doit se faire le partage sur les réseaux sociaux.

– Le 2nd, ce sont les amis d’amis qui s’y mettent passés les 50%, par recommandation.

– Le 3e, ce sont les inconnus. À partir de 80-90%, ceux-là complètent car ils sont sûrs que le projet ira jusqu’au bout et dans ce cas, ça peut monter jusqu’à 300, 400%…

Les Destructeurs Page 11

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QUI SONT-ILS :

Bannière pour le collectif Four Horsemen

Nous sommes des gens sérieux et nous travaillons professionnellement. Depuis quelques temps, il nous est apparu difficile de nous exprimer correctement dans nos créations en passant par le réseau dit conventionnel. Nous avons donc décidé de nous regrouper sous un même label, Four Horsemen, nous qui avons des liens picturaux et amicaux très forts. Nos thèmes se croisent, notre façon de travailler est soignée et pointilleuse, nos univers sont riches et nous voulons les partager avec ceux qui les apprécient. Vous donc.

Nous sommes :

Au sein du même label, Nella Fragola, pin-up de son état a également ouvert son porte-folio au financement participatif sur Indiegogo. Une démarche burlesque autour de photos très soignées. Femme fétiche, femme fatale.

Portfolio "Femme Fétiche, Femme Fatale" par Nella FragolaPour en savoir davantage sur François Amoretti, vous pouvez vous rendre sur son blog. Vous pouvez également contribuer à son projet sur Ulule qui est presque entièrement financé.