Une négociation rocambolesque au XIXe siècle

Mes newsletters contiennent souvent des anecdotes littéraires. Pour les lire en avant-première, vous pouvez vous y abonner. Toutefois, dans l’idée de relancer ce blog, j’ai décidé den republier quelques unes ici, avec aujourd’hui une histoire célèbre qui circule dans la bouche des scénaristes…

Aujourd’hui, il n’est pas rare de lire des séries, de retrouver des personnages d’un ouvrage à un autre. De mon côté, j’ai écrit quatorze albums de Princesse Sara, trois romans Magic Charly, trois Grimoire d’Elfie… Somme toute, la chose est banale. Mais lorsque cette pratique naquit, elle était révolutionnaire. Vous l’aurez compris : je vous parle des romans-feuilleton qui envahirent les journaux au XIXe siècle et qui lancèrent la sérialisation de masse.

Pierre Alexis Ponson du Terrail, par Nadar.

À cette époque, ni télé, ni radio n’existent, et ces journaux sont extrêmement populaires, y compris dans les milieux ouvriers. Avant de partir au travail sous les porches des immeubles ou bien lors de la pause sur les berges de la Seine, on achète le journal et celui qui sait lire le mieux (ou lire tout court) fait la lecture à tous. Ils pouvaient être plusieurs dizaines à se presser autour de l’orateur pour entendre les aventures de leurs héros préférés…

Les journaux avaient bien compris l’intérêt d’embaucher un « feuilletonniste », qui pouvait multiplier leurs ventes par quinze, si ce n’est davantage. C’est dans cet esprit que virent le jour une petite armée de stakhanovistes de la plume, et parmi eux : Ponson du Terrail.
Cet auteur, fou de travail et qui écrivait comme une brute, était moqué à son époque pour son écriture rapide, qui aurait parfois nécessité quelque relecture. On le rebaptisa Tesson du Portail ou Ponton du Sérail, jouant sur les contrepèteries. Un journaliste du Figaro pasticha son style en un magnifique exercice de style, lui prêtant des formules qui firent date, telles que : « D’une main il leva son poignard, et de l’autre il lui dit… », « Quand il se releva, il était mort » ou « Elle avait les mains aussi froides que celles d’un serpent » (vous pouvez essayer, c’est très amusant).
Ponson du Terrail écrivit de nombreux récits, mais il est surtout connu pour sa série autour du personnage Rocambole (celui-là même qui donna l’adjectif rocambolesque à la langue française).

Les droits des auteurs à cette époque étaient encore plus désastreux qu’aujourd’hui et, déjà à cette époque, les auteurs n’avaient droit qu’à la cerise du gâteau qu’ils avaient eux-même cuisiné, les pépins de leur propre pomme, etc.

La suite de cette histoire relève de la légende. Nous sommes nombreux autour de moi à en avoir cherché une trace écrite, en vain. Néanmoins, c’est une histoire que j’ai entendue dès mes études, puis dans le milieu littéraire et celui de la BD. Je ne sais pas si elle est vraie, mais elle se transmet de bouche à oreille depuis des décennies et c’est une rumeur tenace.

Ponson du Terrail, donc, avait vu les ventes du journal se multiplier et savait pertinemment que son Rocambole en était la cause. Toutefois, l’argent ne suivait pas et l’éditeur s’en tenait à la maigre paye du début, ou presque.

Un jour, Ponson du Terrail exigea une augmentation sans quoi il claquerait la porte. Évidemment, l’éditeur lui rit au nez. À cette époque, pas de droit moral, le personnage appartenait au journal qui le publiait, pas à son auteur. L’éditeur promit de recruter n’importe quel tâcheron pour poursuivre les aventures de Rocambole. Ponson du Terrail était bien attrapé, croit-on. D’autant que le texte du jour était livré et sous presse.

Illustration des Drames de Paris. Rocambole aux éditions Jules Rouff, 1er janvier 1884.

Le lendemain matin, le patron du journal lut avec stupéfaction les nouvelles aventures qui se terminaient grosso modo ainsi : Rocambole est capturé par les vilains, attaché, enchaîné, jeté dans une malle remplie de pierres, elle-même balancée à la mer. Comment le héros pouvait-il seulement s’en sortir ?

Les écrivains recrutés en urgence déclarèrent forfait les uns après les autres. Ils eurent beau se creuser la tête : non, vraiment, ils ne voyaient pas ce que Ponson du Terrail pouvait bien avoir à l’esprit pour sauver son héros. Les aventures de Rocambole furent mises à l’arrêt, le public fut furieux et les ventes du journal commencèrent à s’effondrer. Résultat : l’éditeur mangea son chapeau et prévint l’auteur qu’il acceptait de l’augmenter. Ponson du Terrail livra enfin le texte suivant. Ouf ! Tout le monde était soulagé !

Le jour suivant, un nouvel épisode parut dans le journal, qui commençait par ces mots :

« Se sortant de ce mauvais pas, Rocambole remonta à la surface… »

Qu’elle soit vrai ou fausse, cette pirouette de Ponson du Terrail resta dans les annales. Certes, un éditeur perdait la négociation (ce qui est sans doute la plus belle preuve qu’il ne s’agit que d’une fiction). Mais surtout, les scénaristes et auteurs retinrent la leçon : il est inutile d’engluer le lecteur dans des explications, il s’en fiche. L’histoire doit simplement avancer et show must go on.

Si vous êtes curieux de cette histoire, le réalisateur Loïc Nicoloff a réalisé un très joli court-métrage historique autour de ce thème que vous pouvez visionner ici : https://vimeo.com/240447928

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2017 à 2018 : bilan et programme

Larcan2017 vient de s’achever, c’était une grosse année pour moi dont je ne récolterai pas les fruits tout de suite. 2018 s’avance et s’annonce au moins aussi riche, du coup je dois dire que je me sens comme un sportif qui doit réaliser une grosse performance… Tu es très entraînée, tu as déjà englouti des milliers de kilomètres et tu penses être à la hauteur du but que tu t’es fixé, en théorie. Mais ça reste « en théorie », parce que tu peux trébucher ou qu’on peut semer des obstacles sur ta route. En théorie, il reste quand même la vie, qui n’est pas toujours ce que tu avais planifié.

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Princesse Sara : je ne suis pas celle que vous croyez

Aujourd’hui, parait en librairie le 8e tome de Princesse Sara. C’est pour moi un événement. Nous avons déjà dû vendre autour de 120 000 albums de cette série. Et pour fêter ça, en plus d’avoir sélectionné la série pour les 48 heures de la BD, mon éditeur a eu une idée plaisante : faire un ex-libris croisé entre ma série et celle de Patricia Lyfoung, La Rose Écarlate. Nous avons le même public, après tout. En plus Nora Moretti (ma dessinatrice) a, dans une délicieuse initiative, pensé une image unique coupée en deux. C’est du joli travail. Continue reading →

Le mot qui arrêta la guerre : l’angélisme réfléchi

Une pile d'exemplaires du Mot qui arrêta la Guerre

Sur le stand Nobi-Nobi pendant le salon du livre

Le Mot qui arrêta la Guerre est en librairie depuis quinze jours. Toutefois, je l’ai écrit il y a déjà dix ans, même s’il a subi de nombreuses retouches depuis. C’est un conte qui se déroule dans un Japon médiéval, mais en fait peu importe le lieu et l’époque, puisqu’il y est surtout question du pouvoir de l’art, du pouvoir des mots et de ceux que ça dérange. En fait, il y est question de liberté d’expression.

À l’époque où j’ai écrit ce texte, bien que j’aimais beaucoup mon histoire, le message m’avait semblé peut-être un peu évident. Quelle consternation de découvrir que non…

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Profession de foi

Comme beaucoup d’athées, j’ai la foi. Pas en un dieu, des anges ou des fées, mais en l’homme. La plupart du temps, ça me demande une énergie considérable. Mais pas en ce moment, où un peuple se blottit dans sa propre chaleur et se donne consolation.

Comme beaucoup d’athées, je suis touchée par le sacré. Pas au nom d’un unique livre ou de quelques règles absurdes que plus personne ne comprend. Mais le sacré à son origine, avant qu’il ne soit détourné… Une mère qui confie la vie de son enfant à une autre mère, sans échanger un mot. La porte qui s’ouvre pour abriter ceux qu’il faut protéger, même s’ils apportent le danger. Plusieurs millions qui se lèvent pour dire qu’ils n’ont pas peur, pour dire qu’ils sont unis.

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