Plafond de verre : mode d’emploi

PlafondVerre1* Les éditeurs plus cléments avec les auteurs au pseudonymes masculins ?

PlafonVerre2* Les auteurs gagnent en moyenne 52% de plus que les autrices.

* Les femmes sont sous-représentées dans les critiques littéraires

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Comme dirait l’une de nos collègues (Xaël – @xael_bd), on ne demande pas de refaire l’histoire de la BD, mais de reconnaître qu’elle est réécrite en niant l’existence des femmes.

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On pourra s’étonner que nous ayons tenu à réaliser cette petite BD avec ma collègue DIMAT. C’est que le sexisme a marqué notre carrière, sur des histoires minimes, mais qui additionnées bout à bout finissent par faire beaucoup… Comme quand un lecteur, croyant flatter Dimat lui a sorti en pleine dédicace : « qu’est-ce que vous dessinez bien ! On croirait que c’est fait par un homme ! ». Ou ce journaliste qui, au tout début de ma carrière (j’avais alors 25 ans) m’a interviewée en me tripotant la cuisse pendant dix minutes, et qui, après que je lui ai fait comprendre fort délicatement que je n’étais pas intéressée, n’a non seulement pas publié l’interview mais a rédigé la critique la plus assassine que j’ai jamais reçue, lui qui prétendait avoir adoré mon bouquin.

Il y a tout simplement cet article que j’ai rédigé voilà un mois, sur cette question anodine : « dit-on auteur, auteure ou autrice ? » qui a déclenché des réactions en pagailles, certaines d’une telle violence, d’une telle rage, que j’ai dû fermer les commentaires, en censurer certains, et ai même, pour l’un d’entre eux, hésité à porter plainte.

Il y a cette bienveillance du journaliste qui, apprenant que vous êtes devenue maman, vous demande « mais comment arrivez-vous à concilier vie de famille et professionnelle ? » (parce qu’un homme, c’est clairement pas son problème). Il y a ceux qui en toute ingénuité vous demandent si vous avez usé de vos charmes pour être éditée.

Il y a ce troll qui, le soir-même où Pénélope Bagieu est devenue Chevalier des Arts et lettres, est allé pourrir sa page wikipedia pour lui reprocher d’être une mère indigne. Et il y a eu cet article plein de morgue au sujet de Claire Wendling, quand celle-ci a été reconnue par toute la profession comme comptant parmi les finalistes du Prix d’Angoulême 2016. Claire Wendling, dont tous les jeunes dessinateurs depuis dix ans apprennent le métier avec ses travaux sur les genoux. Claire Wendling dont un célèbre site a gommé la bibliographie pour nier sa carrière. Claire Wendling qui a été si atteinte par la virulence des attaques qu’elle a subies, alors même qu’elle avait été CHOISIE par la profession, qu’elle a préféré demander à cette dernière de ne plus voter pour elle.

Alors bon… Le Collectif des Créatrices de BD contre le sexisme a déjà mis un grand coup de pied dans la fourmilière, mais il y a encore du travail.

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Edit 7 avril, 19h02. Un libraire a dit se sentir stigmatisé par mes propos. Comme vous pouvez vous en douter, ça n’était pas mon but. À côté de ça, un troisième et une bibliothécaire m’ont remerciée pour la prise de conscience et m’ont promis qu’ils tâcheraient d’être encore plus vigilants à l’avenir, histoire de « contrebalancer » le schéma. Évidemment, c’est plutôt la réaction que j’espérais provoquer.

Donc, comme ça n’est manifestement pas aussi clair que je le croyais et que c’est un peu dur de rectifier le strip maintenant, je vais préciser un détail. Quand le libraire dit « c’est qui celle-là », il n’est pas en train de faire preuve de misogynie. En effet, la plupart des libraires se moquent complètement du sexe de l’auteur. Simplement il n’a jamais entendu parler de Sara et ne sait donc pas qui elle est. Donc, il n’aura sans doute pas la curiosité d’ouvrir son livre et ne le poussera pas en avant. Les lecteurs, dont je fais partie, ont le même réflexe. Sauf qu’une bonne vente dépend beaucoup du libraire, qui peut devenir la clé du succès d’un auteur s’il décide de le soutenir. Là où le dessin est faussé, c’est qu’en vérité, l’album de Sara (envoyé en bien moins d’exemplaires) a été probablement moins bien vendu par les commerciaux (les objectifs sont fixés par l’éditeur), et n’est peut-être jamais sorti du carton… ou si peu : ce n’est pas comme si les libraires avaient la place de tout mettre en rayon et de donner sa chance à chaque livre. Hélas, ils s’en plaignent assez eux-mêmes…

Enfin, un dernier point sur la misogynie en elle-même. Quand on en parle, on a tout de suite en tête l’image de l’horrible macho qui s’assume. Il faut être conscient que ce genre de personnage est en fait assez rare. La plupart des personnes (hommes ou femmes) qui font preuve de misogynie, en tout cas dans notre milieu, le font sans s’en rendre compte et sans la moindre intention de nuire. Elles se contentent de reproduire un schéma social qui leur parait naturel, et il suffit souvent d’attirer leur attention sur certains points pour qu’elles remettent leurs habitudes en question et se montrent plus vigilantes sur la suite. Le féminisme n’est une chose innée pour personne, pas même pour ses plus grands militants.

2 réponses à “Plafond de verre : mode d’emploi”

  1. Avatar de Théo Nottez
    Théo Nottez

    Bonjour,

    Je suis actuellement étudiant en Game Design, et j’ai énormément aimé cet article. Je trouve ça vraiment super que des articles comme celui là existent. En tant qu’homme, et même jeune homme, j’ai du mal à me positionner au niveau du féminisme et pense que le meilleur moyen dont je puisse user pour faire valoir mes arguments est de travailler à ce que mes travaux ne véhiculent pas les clichés nauséabonds qui provoquent un tel désastre de représentation des femmes dans la fiction (et par extension, des femmes en général).

    Mais ce n’est pas pour parler de moi que j’écris ce commentaire. Je trouve ça simplement super cool que des personnes comme vous prennent le temps d’écrire des articles clairs, directs, et documentés pour dénoncer ce genre d’inégalités. Dans le jeu vidéo, les mauvais réflexes au sujet du traitement des artistes qui ont (apparemment) le malheur d’être des femmes est également très présent, et je suis vraiment heureux de voir que des artistes s’imposent, chacun et chacune à leur niveau pour se faire entendre. C’est d’autant plus le cas quand le propos est aussi pertinent et argumenté.

    En bref, je voulais vous remercier de votre article et, pour ce que ça vaut, soutenir les femmes, qu’elles écrivent, dessinent, composent, tant que les artistes (et pas que les artistes d’ailleurs) talentueuses et acharnées ne seront pas reconnues pour leur travail.
    Encore bravo et merci 😀

  2. Avatar de Audrey Alwett
    Audrey Alwett

    J. K. Rowling a signé de ses initiales car on lui avait déconseillé d’afficher son prénom féminin. Pour son 2e nom de plume, elle a choisi un pseudo masculin… En France, nous avons Fred Vargas… Et bien sûr, il y en a bien d’autres.